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Une nouvelle de Denise SARNI

 LES SOULIERS TROP PETITS

 

Pendant que grand-mère sortait Blanquette de l’écurie, j’attendais dans la cour de terre battue avec le sac noir, la corde pour l’attacher et la canne en bois.

C’était la fin des vacances, l’été indien du début septembre. Je savais que la route serait longue pour mes petites jambes, mais j’aimais particulièrement ce moment de départ vers l’aventure, car bien que cette rituelle se répétait chaque année, c’était chaque fois différent puisque j’avais grandi.

Comme toujours, la mémé avait coiffé son chapeau de paille « cache misère » et retiré ses tabliers :

-         le premier pour ne pas salir, le deuxième qui lui même était sensé protéger le troisième.

A la campagne, nous allions rarement nus pieds dans les chaussures, il fallait mettre des chaussettes. Je devais prendre soin de mes sandales qui avaient déjà deux ans, pour en faire profiter mes autres sœurs. La première année je nageais à l’intérieur, l’année dernière c’était la bonne pointure, mais cette année…ça serrait un peu !

Sur les chemins forestiers, en lisière de bois ou sur  route goudronnée nous avancions d’un bon pas, Nous avions le temps, mais le temps était compté. Je n’avais pas la partie facile à force de retenir Blanquette et ses envies de goûter à toutes les fleurs – des  hortensias du cimetière, aux bouquets des oratoires en passant par les géraniums suspendus aux escaliers.

Au moulin du Docteur BONNEFOI, pendant que la chèvre se désaltérait dans le ruisseau en contrebas, nous profitions d’une petite halte pour nous rafraîchir sous la roue qui chantait en nous aspergeant.

Chemin faisant, je m’appliquais à repérer quelques mûres ou fraises des bois que je prendrais au  retour pour Maman.

Après une côte un peu raide, nous arrivions sur un plat. A un certain croisement, à droite, se trouvait la ferme chez RIGAUD. C’était là que nous laissions Blanquette à son rendez-vous galant - me disait-on - je me demandais bien pourquoi, mais je n’avais pas le droit de poser de question ; C’était pourtant si simple de m’expliquer que pour avoir du lait et de bonnes tommes blanches il fallait que la chèvre ait un bébé !

Si elle avait été sage, on le reprendrait en revenant. J’avais une folle envie de reposer mes pieds, mais ce n’était jamais le moment.

La route continuait jusqu’au pont de FILLINGES où nous attaquions une bonne montée pour atteindre par un sentier caillouteux , la maison de la cousine de

Grand Noix..

Méfiante ou dure d’oreille, il nous fallait tambouriner à la lourde porte en bois ou à l’unique fenêtron ; Après la feinte surprise et les compliments sur ma taille, les deux femmes se terraient à l’intérieur pour discuter affaire. Elles ne s’exprimaient qu’en patois, mais à l’intonation je savais qu’elles parlaient gros sous. Sans doute ma grand-mère venait-elle réclamer le fermage de ses terres, car en sortant elle tenait sa poche comme s’il y avait un trésor.

Je pouvais enfin m’asseoir sur les escaliers de grosses pierres disjointes et enlever socquettes et chaussures. Quel bonheur de calmer sur le froid du carreau mes pieds meurtris !

Ensuite, nous partagions un frugal repas sous les châtaigniers, loin de la cousine, des fois qu’il aurait fallu partager…

C’était l’heure de partir… impossible de remettre mes sandales, mes pieds avaient gonflés et mes orteils bourgeonnaient de bulles rouges.

Dans le verger familial, il nous fallait encore ramasser quelques fruits et aller saluer quelques autres connaissances.

Les talons écrasés, je marchais comme je pouvais, mais si j’avais mal c’était de ma faute, je ne devais pas ôter mes souliers !

Le jour déclinant il fallait activer le pas. Les descentes bien pentues devenaient un clavaire. Je serrais les dents pour ne pas pleurer. Oubliées les fraises et les mûres que je devais rapporter. J’avais hâte de retrouver la bassine d’eau salée, la pommade à base de plantes que Maman me préparerait pour soigner mes ampoules aux pieds.

Est-ce donc pour cette raison que j’ai chaussé si longtemps du trente six et demi ?


Denise.

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